En 1991, ma petite sœur de deux ans, reçue en cadeau pour Noël, une magnifique poupée qui marche et qui chante en boucle le refrain de la très célèbre comptine « Sur le pond d’Avignon, on y danse, on y danse, sur le pont d’Avignon, on y dans tous en rond » lorsqu’on pressait un tout petit bouton bleu situé dans son dos.
Cette chanson était entêtante, puisqu’elle ne chantait que ce refrain en boucle en marchant à la manière des manchots, se dandinant de gauche à droite avec visage neutre et de grands yeux bleus à la limite du strabisme.
Ma petite sœur adorait cette poupée, cependant, elle refusait catégoriquement de dormir avec et faisait même une crise de nerf et poussait des hurlements à réveiller les morts, dès lors qu’une personne la plaçait dans sa chambre, donc, nous avions pris l’habitude de la placer dans la salle à manger, afin de nous assurer des soirées paisibles.
Une fois, en pleine nuit, vers deux heures du matin, je fus réveillée par «LA» chanson dans le couloir. «Sur le pond d’Avignon, on y danse, on y danse, sur le pont d’Avignon, on y dans tous en rond» qu’elle répétait en boucle. Au début, je pensais que je rêvais, le refrain se mêlant à mon rêve. Je sortis de mon sommeil, et j’entendais toujours la chanson de la poupée de Gaëlle. Je ne rêvais pas ! J’entendais biens le refrain retentir dans la maison.
Le couloirs était éteint, puisqu’il n’y avait pas de lumière sous ma porte, mais on y entendait toujours cette fameuse musique. Ma première interrogation, fût, pourquoi était-elle dans le couloir, alors que c’était moi qui l’avais placée sur le canapé du salon avant d’aller me coucher ?
J’allumais ma lampe de chevet, sorti de mon lit, me dirigea dans le couloir pieds nus, alluma la lumière et fus rejoint très peu de temps après par mon père, qui avait également été réveillé.
La poupée était là ! Nous étions, côte à côte, mon père et moi, dans ce long couloir et elle marchait droit vers nous en chantant, en se dandinant avec ce même visage neutre et ses yeux bleus, alors que je l’avais posée sur le canapé quelques heures plus tôt, j’en était certaine. J’essayais de repasser les événements de la soirée dans ma tête, mais j’en revenais à la même conclusion.
Pour arriver à notre niveau, elle avait dû rouler jusqu’au bord du canapé descendre d’une hauteur de 90 centimètres, contourner la table basse, marcher en direction du couloir situé à trois mètres de là, décrire un arc de cercle de 90° afin de se diriger dans le couloir qui desservait les chambres à coucher, tout ça toute seule, qui plus est, dans le noir le plus total.
Qui avait appuyé sur le bouton situé dans son dos ?
Qui avait déplacé cette poupée dans le couloir ?
Pourquoi il n’y avait que mon père et moi qui avions été réveillé ?
Nous n’étions que tous les deux, faisant face à cette petite chose qui avançait inexorablement vers nous. Nous étions silencieux, côte à côte, pétrifiés et circonspects face à ce phénomène totalement inexplicable.
Tout à coup, elle se déplaça légèrement vers la droite, afin de se diriger en direction de mon père, avec cette même chanson entêtante «Sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse, sur le pont d’Avignon, on y danse tous en rond», puis tout à coup, elle se figeât en plein milieu de son refrain, pile au niveau du pied droit de mon père et s’affalât face contre terre, le front sur ses orteils, comme si on l’avait poussé. Puis tout à coup, tout redevint calme. Plus aucun bruit, comme après une énorme tempête ou après une bataille meurtrière et sanglante.
L’atmosphère était lourde et pesante. On n’entendait que nos respirations fortes et saccadées dans ce silence insoutenable.
Il y eu à ce moment précis, entre mon père et moi un regard long. Aucun de nous n’avait la force de prononcer le moindre mot ou de trouver une explication logique à ce que nous venions de vivre tous les deux. Je regardais mon père, puis la poupée à plusieurs reprises.
Mon père se baissât, prit la poupée par la taille, puis la plaçât délicatement sur le comptoir du salon. Il eu cette phrase, qui résonne encore dans ma mémoire : « C’est normal, va te coucher. » Je suis donc retournée dans ma chambre, puis réintégra dans mon lit, afin de finir paisiblement ma nuit, puisque c’était « normal ».
A mon réveil au petit matin, ni mon père, ni moi n’étions certains de ce que nous avions vécu la veille mais la poupée avait disparu, mon père s’en était débarrassé. S’il n’avait pas été présent à mes côtés, je doute que ma mère eu cru mon histoire rocambolesque de la veille.
C’est normal disait-il.
Là encore, le mot « normal » ne résonne pas de la même manière pour tout le monde !
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